Capitale verte de l’europe : le label de la querelle

Vice-président de Nantes Métropole au moment de la sélection de la Capitale verte 2013, aujourd’hui sénateur, le Vert Ronan Dantec voit dans cette récompense le fruit d’une politique ambitieuse, menée dans la durée à Nantes, malgré la querelle entre écologistes et socialistes sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Le titre de Capitale verte de l’Europe n’est pas une simple distinction honorifique. Cette reconnaissance de la qualité des politiques environnementales de villes européennes exemplaires est surtout un mandat qui leur est donné pour promouvoir le modèle européen de la ville durable et participer à la mutualisation des actions les plus ambitieuses.

Interview de Ronan DANTEC réalisée par Thierry Guidet parue dans la revue Place Publique…

PLACE PUBLIQUE : À quoi correspond ce titre de Capitale verte de l’Europe?

RONAN DANTEC : Ce prix a été lancé en 2008 par la Commission européenne pour mettre l’accent sur les réalisations des villes en matière d’environnement. Pour les villes élues, il ne s’agit pas de s’accrocher une breloque de plus au poitrail, mais de s’engager à animer pendant un an la réflexion européenne et à mutualiser de bonnes pratiques.

PLACE PUBLIQUE : Pourquoi Nantes s’est-elle portée candidate?

RONAN DANTEC : C’était logique. Nantes est reconnue depuis longtemps déjà sur les questions d’environnement. Mais nous nous demandions si nous étions vraiment prêts. La candidature requiert un énorme travail de préparation: six mois de travail à temps plein pour une personne, rien que pour monter le dossier qui fait des centaines de pages. Nous ne voulions pas courir le risque de Bordeaux qui, l’année précédente, avait récolté une note de 0 sur 15 au chapitre du climat, faute d’un dossier bien ficelé…

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PLACE PUBLIQUE : Comment le prix est-il décerné?

RONAN DANTEC : Les choses se passent en trois étapes. D’abord, un collège d’experts européens passe les dossiers à la moulinette. Il attribue des notes à partir des données qui lui sont communiquées en fonction de douze critères : le climat, les transports, les espaces verts, l’utilisation des sols, la biodiversité, la qualité de l’air, la pollution sonore, la gestion des déchets, l’eau, l’assainissement, le management environnemental, la communication. En 2011, l’année de notre candidature, il y avait une vingtaine de candidats et six villes ont été retenues dans la short list. Nous étions les cinquièmes avec, je m’en souviens, une note de 14 sur 15 pour notre politique de transports et de 13, 5 sur 15 pour l’action sur le climat.

PLACE PUBLIQUE : Deuxième étape?

RONAN DANTEC : C’est une audition par le jury, par ce collège d’experts qui a déjà examiné les dossiers. L’audition dure environ une heure et demie et il faut avoir réponse à tout. Ainsi, je me rappelle qu’on nous avait demandé pourquoi telle rue de Nantes avait connu une forte augmentation du taux d’oxyde d’azote. Par bonheur, l’un d’entre nous s’est souvenu qu’une rue voisine avait été barrée pour travaux, ce qui avait provoqué des bouchons et, par conséquent, cette augmentation de la pollution… Il faut croire que cette audition s’est plutôt bien déroulée puisqu’elle nous a permis de gagner une place et de passer devant Reykjavik.

PLACE PUBLIQUE : Troisième étape?

RONAN DANTEC : Là, c’est un jury différent, composé de membres de la Commission et de différents réseaux européens de collectivités. Ses délibérations sont secrètes et, alors que les deux premières étapes sont un examen technique des dossiers, il entre, cette fois, une dimension politique dans le choix final.

PLACE PUBLIQUE : C’est-à-dire?

RONAN DANTEC : Les six villes retenues sont d’un niveau à peu près équivalent. Dès lors, d’autres critères vont intervenir: la taille de la ville ou sa localisation. C’est ainsi qu’en 2012, Vitoria-Gasteiz, qui compte moins de 250000 habitants, a obtenu le prix alors qu’elle rivalisait avec une autre ville espagnole beaucoup plus peuplée, Barcelone. À l’évidence, le jury voulait montrer que l’action environnementale concernait aussi les petites villes. Pour le prix 2013, Malmö, en Suède, et Nuremberg, en Allemagne, ont évidemment pâti de la victoire de Stockholm en 2010, de Hambourg en 2011. Une ville française avait plus de chances qu’une ville allemande ou nordique.

PLACE PUBLIQUE : Nantes aurait été choisie par défaut ?

RONAN DANTEC : Non, notre dossier était bon. Et puis nous sommes bien identifiés dans les réseaux de collectivités locales. C’est ainsi que je suis le porte-parole de l’organisation mondiale des villes Cités et gouvernements locaux unis (CGLU) dans la négociation internationale sur le climat. Les élus nantais sont aussi très impliqués dans le réseau Eurocities qui tenait d’ailleurs son assemblée générale à Nantes en novembre. C’est par exemple le groupe du travail climat d’Eurocities, que nous présidons, qui a piloté la déclaration des villes européennes sur le changement climatique avant Copenhague.

PLACE PUBLIQUE : Quels étaient les points forts et les faiblesses de Nantes dans cette compétition?

RONAN DANTEC : Oh! Nous n’avons pas cherché à comparer point par point nos qualités et nos défauts avec ceux de nos concurrents. Mais, je pense que la volonté que nous avons eue, en 2001, de tenter d’étalonner l’ambition de nos politiques publiques environnementales avec ce qui se faisait de mieux en Europe, a été un élément important. En 2001, nous sommes au début de la mise en place de la Communauté urbaine, avec une nouvelle équipe d’élus. Avec Maryline Guillard, directrice de la toute nouvelle mission Environnement de Nantes Métropole, nous sommes allés à Malmö, à Barcelone, à Hanovre… Nous avons participé à des programmes européens comme Civitas, sur les transports, ou Concerto, sur l’énergie. Nous avons pris l’habitude de nous comparer aux autres grandes villes, et donc pour le dossier Capitale verte, nous étions sûrs de ne pas être ridicules. Dès 2006, par exemple, nous avons construit, dans le cadre du programme Concerto, sur le toit commercial du centre Beaulieu, la plus grande centrale photovoltaïque de centre urbain en France. Nous avons lancé un plan Climat particulièrement ambitieux. En pleine ville, nous disposons d’un espace classé Natura 2000, la Petite Amazonie. Notre politique de transports est reconnue…

PLACE PUBLIQUE : Pas de points faibles ?

RONAN DANTEC : Très peu en effet. Nous avons simplement obtenu une mauvaise note en matière d’assainissement, mais elle nous semble un peu injuste.

PLACE PUBLIQUE : Est-ce Nantes ou bien Nantes Métropole qui a été désignée capitale verte?

RONAN DANTEC : C’est Nantes Métropole, la Communauté urbaine. Il a bien fallu que la Commission européenne qui, d’ordinaire, désigne une ville prenne en compte le millefeuille institutionnel français. En effet, les politiques environnementales se mènent à l’échelle de l’agglomération et non pas de la seule ville centre.

PLACE PUBLIQUE : Et Saint-Nazaire? Après tout, c’est bien avec Saint-Nazaire que Nantes a récemment été labellisée ÉcoCité par l’État…

RONAN DANTEC : C’était impossible pour des raisons techniques. Le dossier de candidature exige des réponses très précises correspondant à une aire urbaine déterminée, qu’il s’agisse du taux de recyclage des déchets ou de la qualité de l’air.

PLACE PUBLIQUE : Les villes lauréates ont très inégalement exploité leur nomination. Qui sait que Vitoria était en 2012 la capitale verte de l’Europe?

RONAN DANTEC : La majorité municipale a changé à Vitoria. Forcément, ça n’a pas aidé à la communication… Mais Hambourg avait imaginé un « train des idées », circulant de ville en ville, dont Nantes. En fait, beaucoup dépend des moyens financiers qu’une ville est capable de mettre en oeuvre pour faire valoir son titre de capitale verte. Les budgets engagés n’ont rien à voir avec ceux mis en oeuvre dans le cas d’une capitale européenne de la culture. Et il faut savoir que le titre de Capitale verte ne donne droit à aucune subvention européenne.

PLACE PUBLIQUE : Comment Nantes va-t-elle communiquer sur cette distinction?

RONAN DANTEC : Nous avons d’abord décidé de « verdir » certains de nos événements habituels. Et cela n’aura rien d’arbitraire. Ainsi, le Forum des droits de l’homme s’intéressera cette année au droit de l’environnement. Quant à Utopiales, le festival de science fiction organisé chaque automne à la Cité des congrès, il portera sur les capitales vertes du futur.

PLACE PUBLIQUE : C’est tout ?

RONAN DANTEC : Non, il y aura aussi des événements majeurs, et notamment Ecocity. Pour la première fois, ce sommet mondial de la ville durable se déroulera en Europe. La déclaration sur le climat qui résultera de ce sommet sera portée la semaine suivante à Rabat par le maire d’Istanbul au congrès des Cités et gouvernements locaux unis. Bref, on s’efforcera de faire vivre, à l’échelle internationale, les moments forts qui se seront déroulés à Nantes. Quand on démontera les stands d’un congrès, on ne démontera pas ses conclusions pour autant… Bien sûr, de nombreuses délégations viendront à Nantes et nous serons probablement invités un peu partout pour partager l’expérience nantaise.

PLACE PUBLIQUE : A-t-on imaginé un dispositif comparable à celui du train des idées de Hambourg?

RONAN DANTEC : Oui, l’Aéroflorale, cette sorte de serre volante conçue par la compagnie La Machine, qui s’était posée place Royale en avril 2010, lors de la semaine du développement durable, se déplacera dans plusieurs villes européennes avant de rejoindre Bruxelles pour une grande exposition sur la biodiversité.

PLACE PUBLIQUE : Et les Nantais dans tout ça?

RONAN DANTEC : Leur mobilisation, leur sensibilisation aux questions environnementales sont évidemment une dimension essentielle de cette année. De nombreuses associations sont déjà de la partie et nous travaillons notamment à l’organisation des 24 heures de la biodiversité qui devraient être un grand moment de redécouverte de la ville par ses habitants.

PLACE PUBLIQUE : Les enjeux environnementaux sont mondiaux. Ils semblent concerner au premier chef les organisations internationales et les États. Sont-ils bien du ressort des villes ?

RONAN DANTEC : Mais bien sûr ! Ces grands enjeux, que sont-ils, sinon l’addition d’actions territoriales? Les émissions de CO2 d’un pays comme la France ne sont que la somme des émissions de CO2 émises sur l’ensemble du territoire. Or les villes concentrent la majorité des habitants de la planète. Et le mode de vie de leurs habitants – les déplacements, le chauffage, l’alimentation… – a une incidence directe sur les grands équilibres de la Terre.

PLACE PUBLIQUE : Quand même, tout ne dépend pas des villes !

RONAN DANTEC : C’est vrai, les grandes orientations de la politique énergétique ou bien les normes des automobiles relèvent d’autres niveaux de décision. Mais je dirais que la moitié de l’émission des gaz à effet de serre est directement liée aux décisions des élus locaux. S’il y a un domaine où l’on vérifie le lien entre le local et le global, c’est bien celui-là. J’ajoute que les pouvoirs locaux sont plus souples, plus réactifs que les États. Les leviers de sensibilisation, d’influence sur la vie quotidienne des habitants sont, avant tout, des leviers locaux. À travers les grandes politiques environnementales que nous développons, nous affirmons que chaque territoire n’est pas responsable que de lui-même, c’est le coeur du développement durable. Le défi, c’est que chacun, à son échelle, assume sa part de la responsabilité environnementale globale. Il faut fédérer les niveaux locaux pour influer sur les décisions globales. En d’autres termes, il n’est pas question que cette année soit pour Nantes l’occasion de je ne sais quelle campagne d’autopromotion au service de la compétition libérale entre les territoires…

PLACE PUBLIQUE : Quoi qu’on pense de la perspective d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, et de son bilan écologique global, ne croyez-vous pas que les affrontements autour de ce projet vont parasiter tout ce qui pourra se faire et se dire autour du titre ce Capitale verte?

RONAN DANTEC : Je suis extrêmement préoccupé, la mobilisation actuelle sur le terrain et le niveau de tension sont aujourd’hui des éléments que les promoteurs du projet doivent intégrer. Ils doivent comprendre que débat démocratique et respect des procédures administratives sont deux choses différentes, que ce projet ne s’impose pas parce qu’il ne s’appuie pas sur des arguments acceptés car vraiment débattus. Ce projet occupe les médias depuis des décennies, mais le débat de fond a été d’une grande faiblesse, même les perspectives de développement du trafic ne s’appuient pas sur une étude commerciale sérieuse. Il faut se remettre autour d’une table et reprendre le débat. Il n’y a pas d’autres solutions.

PLACE PUBLIQUE : Mais en attendant ?

RONAN DANTEC : La situation devient évidemment très difficile. Le projet d’aéroport, qui est un projet d’État, n’était évidemment pas dans l’évaluation européenne pour le titre de Capitale verte, qui ne s’intéressait qu’aux politiques publiques locales… Mais il est dans le paysage, et on ne peut pas faire comme si ce désaccord entre nous n’existait pas, c’est devenu quasi-ingérable…

PLACE PUBLIQUE : Alors ?

RONAN DANTEC : L’annonce par la ministre de l’Écologie Delphine Batho de la mise en place d’une commission scientifique indépendante pour évaluer la faisabilité des mesures compensatoires, l’installation d’une commission du dialogue pour ouvrir le débat sur les interrogations autour de ce projet, sont des avancées intéressantes pour sortir de la logique d’affrontement actuelle… J’espère qu’il s’agit d’engagements sincères de la part du gouvernement et, dans ce cas, les travaux de ces commissions prendront obligatoirement de nombreux mois. Il faut réécrire l’histoire de Capitale verte dans ce cadre, celui d’un dialogue local à reconstruire.

PLACE PUBLIQUE : Est-ce bien réaliste?

RONAN DANTEC : Capitale verte, c’est plusieurs enjeux. Le principal est de respecter l’idée de la Commission européenne, celui d’un prix pour animer l’Europe et faire monter le niveau d’exigence des politiques publiques urbaines. Nous accueillons des événements mondiaux sur lesquels, en dehors de Nantes, des réseaux, des militants et des élus sincères travaillent depuis des années. Nous devons les respecter, ne pas rendre ces événements otages de nos désaccords, aussi profonds soient-ils, ou alors annulons-les! C’est notre responsabilité collective, au-delà de nos positions sur le projet d’aéroport ! La Commission européenne a évidemment hésité à nous attribuer ce prix à cause du projet d’aéroport, elle l’a fait parce que nous avons défendu le dossier ensemble. Nous devons réussir à préserver cet engagement : ceux qui mettront le titre de Capitale verte au service de leur vision, pro ou anti-aéroport, prendront une très lourde responsabilité, l’année Capitale verte pourrait ne pas y survivre!

PLACE PUBLIQUE : Vous ne pouvez quand même pas attribuer aux seuls écologistes le mérite de ce titre…

RONAN DANTEC : Le titre de Capitale verte ne résulte évidemment pas du seul apport des élus écologistes. Ainsi, le volontarisme de Jean-Marc Ayrault sur le développement du transport public ne s’est jamais démenti en vingt ans. Et il a été essentiel dans notre succès. Les idées des autres élus, de sensibilités politiques différentes, la qualité des services, leur rigueur et leur créativité, sont autant d’apports qui font notre bilan collectif, c’est la clef. N’empêche que ce titre de Capitale verte, nous l’obtenons aussi une dizaine d’années après l’entrée en force des Verts dans la municipalité…

PLACE PUBLIQUE : C’était en 2001. Mais dès 1989, les écologistes avaient leur place dans la majorité nantaise.

RONAN DANTEC : Oui, et j’ai beaucoup de respect et d’estime pour l’action qui a été conduite par Jean-Claude Demaure, adjoint à l’Environnement de 1989 à 2001. Il a joué un rôle de pionnier dans un contexte culturellement difficile. Il s’agissait, en somme, d’écologiser le PS, ou du moins de tenter de l’écologiser, et ce n’était pas facile.

PLACE PUBLIQUE : Qu’est-ce qui a changé en 2001?

RONAN DANTEC : Nous sommes entrés en nombre, avec un meilleur rapport de force politique. Nous avons apporté des idées neuves, des méthodologies participatives comme l’Agenda 21 de 2006, et nous avons réussi à créer une dynamique qui s’est traduite en politiques publiques concrètes. Qu’on pense à tout le travail sur l’économie sociale et solidaire porté par un élu comme Jean-Philippe Magnen. Même chose sur le plan Climat : un objectif a été fixé, c’était l’action mise en numéro un par les acteurs locaux dans l’Agenda 21, puis ont été déployés les moyens nécessaires pour atteindre un objectif très ambitieux de réduction des émissions de CO2 de notre territoire.

PLACE PUBLIQUE : Et cela sans difficultés majeures avec vos partenaires socialistes ?

RONAN DANTEC : Contrairement à l’idée reçue, Jean-Marc Ayrault ne cherche pas à tout verrouiller, il délègue beaucoup. Je l’ai expérimenté personnellement. Nous avons en outre bénéficié de la création de la Communauté urbaine et, par exemple, de la constitution d’un vrai service de l’Environnement. En d’autres termes, nous avons coproduit une politique: nous avons émis des idées nouvelles et Jean-Marc Ayrault nous a fait confiance. C’est à cette bonne entente que nous devons un bilan environnemental assez unique en France, que vient couronner ce titre de Capitale verte. D’une certaine manière, l’accord passé à Nantes a préfiguré l’accord national avec le Parti socialiste et notre participation au gouvernement.

PLACE PUBLIQUE : Oui mais, revenons-y, Notre-Dame-des-Landes…

RONAN DANTEC : Le projet d’aéroport était dans le paysage depuis le début. En 2001, quand l’accord municipal a été ratifié entre écologistes et socialistes, deux points de friction ont été clairement identifiés: l’extension des installations portuaires de Donges-Est et Notre-Dame-des-Landes. Tout le paradoxe est là: nous avons coproduit une politique environnementale remarquable et, en même temps, nous sommes en total désaccord sur ce qui est, à nos yeux, un des projets les plus aberrants de France en termes d’environnement. Sur Donges-Est, nous avons gagné, le projet n’a pas vu le jour : les mesures compensatoires prévues pour équilibrer les dégâts écologiques n’ont pas été jugées réalisables. Eh bien, je pense qu’on gagnera de la même façon à Notre-Dame-des-Landes.

(http://www.revue-placepublique.fr/).

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