La France reprend avec force la main sur la lutte contre les paradis fiscaux
François Hollande annonce une mesure révolutionnaire : une comptabilité pays par pays à 5 critères pour les banques, étendue ensuite aux grandes entreprises. Il positionne également la France en championne de l’échange automatique d’information. Il menace de constituer une vraie liste de paradis fiscaux. C’est, sur le papier, révolutionnaire ! Mais les conditions concrètes de mise en œuvre seront importantes pour juger du résultat final.
Dans sa déclaration de ce matin (10 avril) le président de la République a posé les jalons d’une politique forte et active pour la France de lutte contre les paradis fiscaux. Selon trois orientations.
Une comptabilité pays par pays généralisée
Le président a indiqué que les banques devraient rendre public chaque année la liste de leurs implantations à l’étranger et, indique le compte rendu du Conseil des ministres « elles devront indiquer la nature de l’activité de chacune de ces filiales et fournir, pour chaque pays le chiffre d’affaires, les effectifs, les résultats, les impôts payés et les aides publiques reçues. L’ensemble de ces information seront publiques et à la disposition de tous en particulier de la société civile et des ONG, qui en formulaient depuis longtemps la demande ».
Le projet de loi de réforme bancaire, actuellement en discussion, n’imposait aux banques que les deux 1ers critères dans la version de l’Assemblée et les 5 critères dans la version du Sénat. On attendait donc la 2ème lecture de l’Assemblée, prévue pour juin, afin de connaître le degré de transparence réclamé aux banques. Le président vient de trancher : ce sera le niveau maximum.
Mieux : dans sa déclaration de ce matin, François Hollande a ensuite indiqué que cette obligation serait étendue à toutes les grandes entreprises ! C’est une évolution nécessaire car si les banques sont plus présentes que les autres grandes entreprises dans les paradis fiscaux, elles y sont toutes !
Une comptabilité pays par pays imposée à toutes les entreprises représente donc un pas en avant considérable : on va s’apercevoir que des entreprises réalisent des profits dans des territoires où elles ont peu d’effectifs et de chiffre d’affaires, bref qu’elles ont recours à des stratégies agressives d’optimisation fiscale. Le président ayant affirmé que ces informations seront rendues publiques, on ne peut penser que la mise en évidence de tels comportements restera sans traduction politique.
Reste une question : le compte rendu du Conseil des ministres indique que la France proposera l’extension à toutes les entreprises « dans le cadre de l’Union européenne ». Cela veut-il dire que nous n’avancerons pas sur le sujet si les autres pays ne nous suivent pas ? Espérons que l’on pourra constater que la France fait des propositions pour avancer dans ce sens, le président, le gouvernement et le parlement devra être surveillé en ce sens.
L’échange automatique d’informations comme standard
Depuis le G20 d’avril 2009, le Forum mondial sur la transparence fiscale situé à l’OCDE organisait la généralisation au niveau mondial d’un échange d’informations fiscales à la demande : si le fisc d’un pays a un doute sur l’un de ses ressortissants, il doit demander au fisc du pays étranger de lui donner des informations. Ce type d’échange d’informations ne fonctionne pas : les paradis fiscaux répondent peu et mal.
Il faut donc passer à l’échange automatique d’informations : dès qu’un Français réalise une transaction financière à l’étranger, le fisc français doit en être automatiquement informé. Le président de la République vient donc d’indiquer que la France se ferait championne pour défendre ce standard et c’est tant mieux !
Il faut quand même souligner que l’échange automatique est déjà en train d’être mis en place au niveau européen et devait progressivement être généralisé par étapes en 2015 et 2017 : la France vient de dire qu’elle veut accélérer le calendrier pour que ce standard se mette en place plus vite au sein de l’Union européenne et entre l’Union et les autres pays comme la Suisse.
Le Luxembourg et l’Autriche qui, dans le cadre de la Directive épargne, bloquaient une avancée rapide ont indiqué récemment qu’ils étaient désormais plus ouverts. Il faut rappeler que, de leur côté, les Etats-Unis sont en train d’imposer à toutes les institutions financières du monde entier de leur donner des informations lorsqu’elles réalisent des transactions financières avec un Américain. Ces deux pays vont être obligés de fournir ces informations aux Etats-Unis et, suivant le principe de la clause de la nation la plus favorisée, vous devez donner à tous vos partenaires ce que vous offrez à l’un d’entre eux : la Commission européenne a donc réclamé le même avantage et il sera difficile à ces deux pays de refuser… Cela explique sûrement en partie leur volonté de bouger.
Une nouvelle liste française des paradis fiscaux
Enfin, le président a indiqué que la « liste des paradis fiscaux fixée chaque année par le Gouvernement sera revue, non plus seulement en fonction de la signature de conventions d’échanges d’informations avec d’autres pays, mais aussi en s’attachant à une évaluation de la réalité de leur mise en œuvre ». On a trop l’habitude de voir les listes de paradis fiscaux se vider plus vite qu’elles ne se remplissent pour s’emballer. Néanmoins, lorsque Valérie Pécresse avait fait le bilan de la volonté des paradis fiscaux de répondre aux demandes d’informations de la France, ce n’était pas brillant, Suisse en tête. La France pourrait donc a priori mettre la Suisse dans sa liste avec toutes les contraintes qui s’en suivent en termes de réputation pour le pays et de contraintes pour toute opération financière en provenance ou à destination de ce pays.
Le Forum mondial sur la transparence fiscale réalise déjà l’exercice de vérifier si les pays transmettent bien des informations lorsqu’on leur en demande. Pour l’instant, tous les pays, hormis Nauru, ont l’air de satisfaire aux critères, ce qui fait quand même une liste assez maigre ! Le Forum a promis pour 2014 un bilan complet selon trois ou quatre catégories en fonction du degré de coopération.
Quoiqu’il en soit, si l’échange automatique d’information fiscale devient le nouveau standard mondial – il est à cet égard amusant de voir avec quelle facilité l’OCDE, qui y était farouchement opposée, en fait depuis l’an dernier son cheval de bataille… – le Forum mondial ne devra plus vérifier si les pays répondent aux demandes qu’on leur fait mais s’ils transmettent immédiatement aux fiscs étrangers les informations qu’ils détiennent.
Dans un monde idéal, les propositions du président de la République nous donnent une situation où la comptabilité pays par pays est appliquée à toutes les grandes entreprises, dans le cadre d’un standard européen et mondial d’échanges automatiques d’informations fiscales, avec la mise sur liste noire des pays récalcitrant.
On mesure à cette aune l’aspect proprement révolutionnaire des propos du président. On mesure aussi immédiatement tous les obstacles qui vont se dresser devant lui. On ne lui en voudra pas de ne pas tout réussir tout de suite, mais seulement si la France s’engage sérieusement et fermement à tout faire pour y arriver. Rendez-vous est pris Monsieur le Président.
Christian Chavagneux est rédacteur en chef adjoint d’Alternatives Economiques et rédacteur en chef de la revue L’Economie politique. Il débat tous les samedis matins sur France Inter dans l’émission « On n’arrête pas l’éco ». Il a obtenu le prix 2012 du meilleur article financier.